The Principal Navigations, Voyages, Traffiques and Discoveries of the English Nation
Chapter 211 : L'autre a rapport a cet ile nommee Pharos, dans laquelle le Ptolemee-Philadelphe

L'autre a rapport a cet ile nommee Pharos, dans laquelle le Ptolemee-Philadelphe fit construire une tour dont les feux servoient de signal aux navigateurs, et qui porta egalement le nom de Phare. On sait que, posterieurement a Ptolemee, l'ile fut jointe au continent par un mole qui, a chacune de ses deux, extremites, avoit un pont; que Cleopatre acheva l'isthme, en detruisant les ponts et en faisant la digue pleine; enfin qu'aujourd'hui l'ile entiere tient a la terre ferme. Cependant notre prelat en parle comme si, de son temps, elle eut ete ile encore: "in dextera parte portus parva insula habetur, in qua maxima turris est quam, in commune, Graeci ac Latini, ex ipsius rei usu, Pharum vocitaverunt." Il se trompe sans doute. Mais, probablement, a lepoque ou il la vit, elle n'avoit que sa digue, encore: les atterriss.e.m.e.ns immenses qui en ont fait une terre, en la joignant au continent, sont posterieurs a lui; et il n'aura pas cru qu'un mole fait de main d'homme empechat une ile d'etre ce que l'avoit faite la nature.

Au neuvieme siecle, nous eumes une autre sorte de Voyage par Hetton, moine et abbe de Richenou, puis eveque Bale. Cet homme, habile dans les affaires, et employe comme tel par Charlemagne, avoit ete en 811 envoye par lui en amba.s.sade a Constantinople. De retour en France, il y publia, sur sa mission, une relation, que jusqu'ici l'on n'a pas retrouvee, et que nous devons d'autant plus regretter qu'infailliblement elle nous fourniroit des details curieux sur un Empire dont les rapports avec notre France etoient alors si multiplies et si actifs. Peut etre au reste ne doit on pas la regarder comme tout-a-fait perdue; et il seroit possible qu'apres etre restee pendant plusieurs siecles ensevelie dans un ma.n.u.scrit ignore, le hasard l'amenat un jour sous les yeux de quelqu'un de nos savans, qui la donneroit au public.

C'est ce qui est arrive pour celle d'un autre moine Francais nomme Bernard; laquelle, publiee en 870, a ete retrouvee par Mabillon et mise par lui au [Footnote: Ubi supra. p. 523.] jour. Ce n'est, comme celle d'Arculfe, qu'un voyage de Terre Sainte a la verite beaucoup plus court que le sien, ecrit avec moins de pretention, mais qui, a l'exception de quelques details personnels a l'auteur, ne contient de meme qu'une seche enumeration des saints lieux: ce qui l'a fait de meme int.i.tuler: De locis sanctis.

Cependant la route des deux pelerins fut differente. Arculfe etoit alle directment en Palestine, et de la il s'etoit embarque une seconde fois pour voir Alexandrie. Bernard, au contraire, va d'abord debarquer a Alexandrie.

Il remonte le Nil jusqu'a Babylone, redescend a Damiette, et, traversant le desert sur des chameaux, il se rend par Gaza en Terre Sainte.

La, il fait, comme saint Arculfe, differens pelerinages, mais moins que lui cependant, soit que sa profession ne lui eut point permis les meme depenses, soit qu'il ait neglige de les mentionner tous.

Je remarquerai seulement que dans certaines eglises on avoit imagine, depuis l'eveque, de nouveaux miracles, et qu'elles en citoient dont il ne parle pas, et dont certainement il eut fait mention s'ils avoient eu lieu de son temps. Tel etoit celui de l'eglise de Sainte-Marie, ou jamais il ne pleuvoit, disoit-on, quoiqu'elle fut sans toit. Tel celui auquel les Grecs ont donne tant de celebrite, et qui, tous les ans, la veille de Paques, s'operoit dans l'eglise du Saint-Sepulcre, ou un ange descendoit du ciel pour allumer les cierges: ce qui fournissoit aux chretiens de la ville un feu nouveau, qui leur etoit communique par le patriarche, et qu'ils emportoient religieus.e.m.e.nt chez eux.

Bernard rapporte, sur son pa.s.sage du desert, une anecdote qui est a recueillir: c'est que, dans la traversee de cette immense mer de sable, des marchands paens et chretiens avoient forme deux hospices, nommes l'un Albara, l'autre Albacara, ou les voyageurs trouvoient a se pourvoir de tous les objets dont ils pouvoient avoir besoin pour leur route.

Enfin l'auteur nous fait connoitre un monument forme par Charlemagne dans Jerusalem en faveur de ceux qui parloient _la langue Romane_, et que les Francais, et les gens de lettres specialement, n'apprendront pas, sans beaucoup de plaisir, avoir existe.

Ce prince, la gloire de l'Occident, avoit, par ses conquetes et ses grandes qualites, attire l'attention d'un homme qui remplissoit egalement l'Orient de sa renommee: c'etoit le celebre calife Haroun-al-Raschild. Haroun, empresse de temoigner a Charles l'estime et la consideration qu'il lui portoit, lui portoit, lui avoit envoye des amba.s.sadeurs avec des presens magnifiques; et ces amba.s.sadeurs, disent nos historiens, etoient meme charges de lui presenter, de la part de leur maitre, les cles de Jerusalem.

Probablement Charles avoit profite de cette faveur pour etablir dans la ville un hopital ou hospice, destine aux pelerins de ses etats Francais.

Tel etoit l'esprit du temps. Ces sortes de voyages etant reputes l'action la plus sainte que put imaginer la devotion, un prince qui les favorisoit croyoit bien meriter de la religion. Charlemagne d'ailleurs avoir le gout des pelerinages; et son historien Eginhard [Footnote: Vita Carol. Mag. Cap.

27.] remarque avec surprise que, malgre la predilection qu'il portoit a celui de Saint-Pierre de Rome, il ne l'avoit fait pourtant que quatre fois dans sa vie.

Mais souvent le grand homme se montre grand encore jusqu'au sein des prejuges qui l'entourent. Charles avoit ete en France le restaurateur des lettres; il y avoit retabli l'orthographe, regenere l'ecriture, forme de belles bibliotheques: il voulut que son hospice de Jerusalem eut une bibliotheque aussi a l'usage des pelerins. L'etabliss.e.m.e.nt la possedoit encore tout entiere, au temps de Bernard: "n.o.bilissimam habens bibliothecam, studio Imperatoris;" et l'empereur y avoit meme attache, tant pour Pentretien du depot et celui du lieu, que pour la nourriture des pelerins, douze manses situees dans la vallee de Josaphat, avec des terres, des vignes et un jardin.

Quoique notre historien dut etre ra.s.sasie de pelerinages, il fit neanmoins encore, a son retour par l'Italie, celui de Rome: puis quand il fut rentre en France, celui du mont Saint-Michael.

Sur ce dernier, il observe que ce lieu, situe au milieu d'une greve des cotes de Normandie, est deux fois par jour, au temps du flux, baigne des eaux de la mer. Mais il ajoute que, le jour de la fete du saint l'acces du rocher et de la chapelle reste libre; que l'Ocean y forme, comme fit la Mer rouge, au temps de Moise, deux grands murs, entre lesquels on peut pa.s.ser a pied sec; et que ce miracle, que n'a lieu que ce jour-la, dure tout le jour.

Notre litterature nationale possedoit quatre voyages; un des cotes d'Isalie, un de Constantinople, deux de Terre-Sainte. Au treizieme siecle, une cause fort etrange lui en procura deux de Tartarie.

Cette immense contree dont les habitans, en divers temps et sous differens noms, ont peuple, conquis, ou ravage la tres-grande partie de l'Europe et de l'Asie, se trouvoit pour ainsi dire tout entiere en armes.

Fanatises par les incroyables conquetes d'un de leurs chefs, le fameux Gengis-Kan; persuades que la terre entiere devoit leur obeir, ces nomades belliqueux et feroces etoient venus, apres avoir soumis la Chine, se precipiter sur le nord-est de l'Europe. Par tout ou s'etoient portees leurs innombrables hordes, des royaumes avoient ete ravages; des nations entieres exterminees ou trainees en esclavage; la Hongrie, la Pologne, la Boheme, les frontieres de l'Autriche, devastees d'une maniere effroyable. Rien n'avoit pu arreter ce debordement qui, s'il eprouvoit, vers quelque cote, une resistance, se jetoit ailleurs avec plus de fureur encore. Enfin la chretiente fut frappee de terreur, et selon l'expression d'un de nos historiens, elle trembla jusqu'a l'Ocean.

Dans cette consternation generale, Innocent IV voulut se montrer le pere commun des fideles. Ce tendre pere se trouvoit a Lyon, ou il etoit venu tenir un concile pour excommunier le redoutable Frederic II, qui trois fois deja l'avoit ete vainement par d'autres papes. La, en accablant l'empereur de toutes ses foudres, Innocent forme un projet dont l'idee seule annonce l'ivresse de la puissance; celui d'envoyer aux Tartares des lettres apostoliques, afin de les engager a poser les armes et a embra.s.ser la religion chretienne: "ut ab hominum strage desistement et fidei veritatem reciperent." [Footnote: Vincent Bellovac. Spec histor. lib. x.x.xii. cap. 2.]

Il charge de ses lettres un amba.s.sadeur; et l'amba.s.sadeur est un Frere-mineur nomme Jean du Plan de Carpin (Joannes de Plano Carpini,) qui le jour de Paques, 1245, part avec un de ses camarades, et qui en chemin se donne un troisieme compagnon, Polonois et appele Benoit.

Soit que l'ordre de Saint-Dominique eut temoigne quelque deplaisir de voir un pareil honneur defere exclusivement a l'ordre de Saint Francois; soit qu'Innocent craignit pour ses amba.s.sadeurs les dangers d'un voyage aussi penible; soit enfin par quelque motif que nous ignorons, il nomma une seconde amba.s.sade, a laquelle il fit prendre une autre route, et qui fut composee uniquement de Freres-precheurs. Ceux-ci, au nombre de cinq, avoient pour chef un nomme Ascelin, et parmi eux etoit un frere Simon, de Saint-Quentin, dont j'aurai bientot occasion de parler. Ils etoient, comme les Freres-mineurs, porteurs de lettres apostoliques, et avoient aupres des Tartares la meme mission, celle de determiner ce peuple formidable a s'abstenir de toute guerre et a recevoir le bapteme.

De Carpin cependant avoit, avec la sienne, recu l'ordre particulier et secret d'examiner attentivement et de recueillir avec soin tout ce qui chez ce peuple lui paroitroit digne de remarque. Il le fit; et a son retour il publia une relation, qui est composee dans cet esprit, et qu'en consequence il a int.i.tulee Gesta Tartarorum. Effectivement il n'y emploie, en details sur sa route et sur son voyage, qu'un seul chapitre. Les sept autres sont consacres a decrire tout ce qui concerne les Tartares; sol, climat, moeurs, usages, conquetes, maniere de combattre, etc. Son ouvrage est imprime dans la collection d'Hakluyt. J'en ai trouve parmi les ma.n.u.scrits de la Bibliotheque nationale (No. 2477, a la page 66) un exemplaire plus complet que celui de l'edition d'Hakluyt, et qui contient une a.s.sez longue preface de l'auteur, que cette edition n'a pas. Enfin, a l'epoque ou parut ce Voyage, Vincent de Beauvais l'avoit insere en grande partie dans son Speculum historiale.

Ce frere Vincent, religieux dominicain, lecteur et predicateur de saint Louis, avoit ete invite par ce prince a entreprendre differens ouvrages, qu'en effet il mit au jour, et qui aujourd'hui forment une collection considerable. De ce nombre est une longue et lourde compilation historique, sous le t.i.tre de Speculum historiale, dans laquelle il a fait entrer et il a fondu, comme je viens de le dire, la relation de notre voyageur. Pour rendre celle-ciplus interessante et plus complete, il y a joint, par une idee a.s.sez heureuse, certains details particuliers que lui fournit son confrere Simon de Saint-Quentin, l'un des a.s.socies d'Ascelin dans la seconde amba.s.sade. Ayant eu occasion de voir Simon a son retour de Tartarie, il apprit de lui beaucoup de choses qu'il a inserees en plusieurs endroits de son Miroir et specialement dans le 32'e et dernier livre. La, avec ce qu'avoit ecrit et publie de Carpin, et ce que Simon lui raconta de vive voix, il a fait une relation mixte, qu'il a divisee en cinquante chapitres; et c'est celle que connoissent nos modernes. Bergeron en a donne une traduction dans son recueil des voyages faits pendant le douzieme siecle et les trois suivans. Cependant il a cru devoir separer ce qui concernoit de Carpin d'avec ce qui appartient a Simon, afin d'avoir des memoires sur la seconde amba.s.sade comme on en avoit sur la premiere. Il a donc detache du recit de Vincent six chapitres attribues par lui a Simon; et il en a fait un article a part, qu'il a mis sous le nom d'Ascelin, chef de la seconde legation. C'est tout ce que nous savons de celle ci.

Quant au succes qu'eurent les deux amba.s.sades, je me crois dispense d'en parler. On devine sans peine ce qu'il dut etre; et il en fut de meme de deux autres que saint Louis, quoique par un autre motif, envoya peu apres dans la meme contree.

Ce monarque se rendoit en 1248 a sa desastreuse expedition d'Egypte, et il venoit de relacher en Cypre avec sa flotte lorsqu'il recut dans cette ile, le 12 Decembre, une deputation des Tartares, dont les deux chefs portoient les noms de David et de Marc. Ces aventuriers se disoient delegues vers lui par leur prince, nouvellement converti a la foi chretienne, et qu'ils appeloient Ercalthay. Ils a.s.suroient encore que le grand Kan de Tartarie avoit egalement recu le bapteme, ainsi que les princ.i.p.aux officiers de sa cour et de son armee, et qu'il desiroit faire alliance avec le roi.

Quelque grossiere que fut cette imposture, Louis ne put pas s'en defendre.

Il resolut d'envoyer, au prince et au Kan convertis une amba.s.sade pour les feliciter de leur bonheur et les engager a favoriser et a propager dans leurs etats la religion chretienne. L'amba.s.sadeur qu'il nomma fut un Frere-precheur nomme Andre Longjumeau ou Longjumel, et il lui a.s.socia deux autres Dominicains, deux clercs, et deux officiers de sa maison.

David et Marc, pour lui en imposer davantage, affecterent de se montrer fervens chretiens. Ils a.s.sisterent avec lui fort devotieusment aux offices de Noel; mais ils lui firent entendre que ce seroit une chose fort agreable au Kan d'avoir une tente en ecarlate. C'etoit-la que vouloient en venir les deux fripons. Et en effet le roi en commanda une magnifique, sur laquelle il fit broder l'Annonciation, la Pa.s.sion, et les autres mysteres du christianisme. A ce present il en ajouta, un autre, celui de tout ce qui etoit necessaire, soit en ornemens soit en vases et argenterie pour une chapelle. Enfin il donna des reliques et du bois de la vraie croix: c'est-a-dire ce que, dans son opinion, il estimoit plus que tout au monde.

Mais une observation que je ne dois point omettre ici, parce qu'elle indique l'esprit de cette cour Romaine qui se croyoit faite pour commander a tous les souverains: c'est que le legat que le pape avoit place dans l'armee du roi pour l'y representer et ordonner en son nom, ecrivit, par la voie des amba.s.sadeurs, aux deux souverains Tartares, et que dans sa lettre il leur annoncoit qu'il les adoptoit et les reconnoissoit enfans de l'eglise. Il en fut pour ses pretentions et les avances de sa lettre, ainsi que le roi, pour sa tente, pour sa chappelle et ses reliques. Longjumeau, arrive en Tartarie, eut beau chercher le prince Ercalthay et ce grand Kan baptise avec sa cour; il revint comme il etoit parti. Cependant il devoit avoir, sur cette contree, quelques renseignemens. Deja il y avoit voyage, disoit-on; et meme quand David parut devant lui en Cypre, il pretendit le reconnoitre, comme l'ayant vu chez les Tartares.

Ces circonstances nous ont ete transmises par les historiens du temps. Pour lui, il n'a rien laisse sur sa mission. On diroit qu'il en a eu honte.

Louis avoit ete a.s.sez grossierement dupe pour partager un peu ce sentiment, ou pour en tirer au moins une lecon de prudence. Et neanmoins tres-peu d'annees apres il se laissa tromper encore: c'etoit en 1253; et il se trouvoit alors en Asie.

Quoique au sortir de sa prison d'Egypte tout lui fit une loi de retourner en France, ou il avoit tant de plaies a fermer et tant de larmes a tarir, une devotion mal eclairee l'avoit conduit en Palestine. La, sans songer ni a ses sujets ni a ses devoirs de roi, non seulement il venoit de perdre deux annees, presque uniquement occupe de pelerinages; mais malgre l'epuis.e.m.e.nt des finances de son royaume, il avoit depense des sommes tres-considerables a relever et a fortifier quelques bicoques que les chretiens de ces contrees y possedoient encore.

Pendant ce temps, le bruit courut qu'un prince Tartare nomme Sartach avoit embra.s.se le christianisme. Le bapteme d'un prince infidele etoit pour Louis une de ces beat.i.tudes au charme desquelles il ne savoit pas resister. Il resolut d'envoyer une amba.s.sade a Sartach pour le feliciter, comme il en avoit envoye une a Ercalthay. Sa premiere avoit ete confiee a des Freres-precheurs; il nomma, pour celle-ci, des Franciscains, et pour chef frere Guillaume Rubruquis. Deja Innocent avoit de meme donne successivement une des deux siennes a l'un des deux autres. Suivre cet exemple etoit pour Louis une grande jouissance. Il avoit pour l'un et pour l'autre une si tendre affection, que tout son voeu, disoit-il, eut ete de pouvoir se partager en deux, afin de donner a chacun des deux une moitie de luimeme.

Rubruquis, rendu pres de Sartach, put s'y convaincre sans peine combien etoient fabuleux les contes que de temps en temps les chretiens orientaux faisoient courir sur ces pretendues conversions de princes Tartares. Pour ne pas perdre tout-a-fait le fruit de son voyage il sollicita pres de ce chef la permission de precher l'evangile dans ses etats. Sartach repondit qu'il n'osoit prendre sur lui une chose aussi extraordinaire; et il envoya le convertisseur a son pere Baathu, qui le renvoya au grand Kan.

Pour se presenter devant celui-ci, Rubruquis et ses deux camarades se revetirent chacun d'une chape d'eglise. L'un d'eux portoit une croix et un missel, l'autre un encensoir, lui une bible et un psautier et il s'avance ainsi entre eux deux en chantant des cantiques. Ce spectacle, que d'apres ses prejuges monastiques, il croyoit imposant, et qui n'etoit que burlesque, ne produisit rien, pas meme la risee du Tartare; et peu content sans doute d'un voyage tres-inutile il revint en rendre compte au roi.

Louis n'etoit plus en Syrie. La mort de Blanche sa mere l'avoit rappele enfin en France, d'ou il n'auroit jamais du sortir, et ou neanmoins il ne se rendit qu'apres une annee de r.e.t.a.r.d encore. Rubruquis s'appretoit a l'y suivre quand il recut de son provincial une defense de partir, avec ordre de se rendre au couvent de Saint-Jean d'Acre, et la d'ecrire au roi pour l'instruire de sa mission. Il obeit. Il envoya au monarque une relation, que le temps nous a conservee, et qui, comme la precedente, se trouve traduite dans Bergeron; mais c'est a la contrariete despotique d'un superieur dur et jaloux que nous la devons. Peut-etre que si le voyageur avoit obtenu permission de venir a la cour, il n'eut rien ecrit.

Ainsi des quatre amba.s.sadeurs monastiques envoyes en Tartarie tant par Innocent que par le roi, il n'y a que les deux Franciscains de Carpin et Rubruquis, qui aient laisse des memoires; et ces ouvrages, quoiqu'ils se ressentent de leur siecle et particulierement de la profession de ceux qui les composerent, sont cependant precieux pour nous par les details interessans qu'ils contiennent sur une contree lointaine dont alors on connoissoit a peine le nom, et avec laquelle nous n'avons depuis cette epoque conserve aucun rapport.

On y admirera sur tout le courage de Rubruquis, qui ne craint pas de declarer a.s.sez ouvertement au roi que David etoit un imposteur qui l'avoit trompe. Mais Louis avoit le fanatisme du proselytisme et des conversions; et c'est-la chez certains esprits une maladie incurable.

Dupe deux fois, il le fut encore par la suite pour un roi de Tunis qu'on lui avoit represente comme dispose a se faire baptiser. Ce bapteme fut long-temps sa chimere. Il regardoit comme le plus beau jour de sa vie celui ou il seroit le parrain de ce prince. Il eut consenti volontiers, disoit-il, a pa.s.ser le reste de sa vie dans les cachots d'Afrique, si a ce prix il eut pu le voir chretien. Et ce fut pour etre le parrain d'un infidele qu'il alla sur les cotes de Tunis perdre une seconde flotte et une seconde armee, deshonorer une seconde fois les armes Francaises qu'avoit tant ill.u.s.trees la journee de Bovines, enfin perir de la peste au milieu de son camp pestifere, et meriter ainsi, par les malheurs multiplies de la France, d'etre qualifie martyr et saint.

Quant a Bergeron, il n'est personne qui ne convienne qu'en publiant sa traduction il a rendu aux lettres et aux sciences un vrai service, et je suis bien loin a.s.surement de vouloir en deprecier le merite. Cependant je suis convaincu qu'elle en auroit d'avantage encore s'il ne se fut point permis, pour les differens morceaux qu'il y a fait entrer, une traduction trop libre, et surtout s'il s'y fut interdit de nombreux retranchemens qui a la verite nous epargnent l'ennui de certains details peu faits pour plaire, mais qui aussi nous privent de l'inestimable avantage d'apprecier l'auteur et son siecle. Lui-meme, dans la notice preliminaire d'un des voyages qu'il a imprimes, il dit l'avoir tire d'un Latin a.s.sez grossier ou il etoit ecrit selon le temps, pour le faire voir en notre angue avec un peu plus d'elegance et de clarte. [Footnote: Tome I. p. 160, a la suite du Voyage de Rubruquis.] De-la il est arrive qu'en promettant de nous donner des relations du treizieme et du quatorzieme sieecle [sic--KTH], il nous en donne de modernes, qui toutes ont la meme physionomie a peu pres, tandis que chacune devroit avoir la sienne propre.

Le recueil de Bergeron, bon pour son temps, ne l'est plus pour le notre.

Compose d'ouvrages qui contiennent beaucoup d'erreurs, nous y voudrions des notes critiques, des discussions historiques, des observations savantes; et peut-etre seroit-ce aujourd'hui une entreprise utile et qui ne pourroit manquer d'etre accueillie tres-favorablement du public, que celle d'une edition nouvelle des voyages anciens, faite ainsi, surtout si l'on y joignoit, autant qu'il seroit possible, le texte original avec la traduction. Mais cette traduction, il faudrait qu'elle fut tres-scrupuleus.e.m.e.nt fidele. Il faudroit avant tout s'y interdire tout retranchement, ou au moins en prevenir et y presenter en extrait ce qu'on croiroit indispensable de retrancher. Ce n'est point l'agrement que s'attend de trouver dans de pareils ouvrages celui qui entreprend la lecture; c'est l'instruction. Des le moment ou vous les denaturerez, ou vous voudrez leur donner une tournure moderne et etre lu des jeunes gens et des femmes, tout est manque. Avez-vous des voyages, quels qu'ils soient, de tel ou tel siecle? Voila ce que je vous demande, et ce que vous devez me faire connoitre.

Si parmi ceux de nos gens de lettres qui avec des connoissances en histoire et en geographie reunissent du courage et le talent des recherches, il s'en trouvoit quelqu'un que ce travail n'effrayat pas, je la previens que, pour ce qui concerne le Speculum historiale, il en existe a la Bibliotheque nationale quatre exemplaires ma.n.u.scrits, sous les numeros 4898, 4900, 490l, et 4902.

Les deux Voyageurs du quatorzieme siecle qui ont publie des relations ne sont point nes Francais; mais tous deux ecrivirent primitivement dans notre langue: ils nous appartiennent a t.i.tre d'auteurs, et sous ce rapport je dois en parler. L'un est Hayton l'Armenien; l'autre, l'Anglais Mandeville.

Hayton, roi d'Armenie; avoit ete depouille de ses etats par les Sarrasins.

Il imagina d'aller solliciter les secours des Tartares, qui en effet prirent les armes pour lui et le retablirent. Ses negociations et son voyage lui parurent meriter d'etre transmis a la posterite, et il dressa des memoires qu'en mourant il laissa entre les mains d'Hayton son neveu, seigneur de Courchi.

Celui-ci, apres avoir pris une part tres-active tant aux affaires d'Armenie qu'aux guerres qu'elle eut a soutenir encore, vint se faire Premontre en Cypre, ou il apprit la langue Francaise, qui portee la par les Lusignans, y etoit devenue la langue de la cour et celle de tout ce qui n'etoit pas peuple.

De Cypre, le moine Hayton ayant pa.s.se a Poitiers, voulut y faire connoitre les memoires de son oncle, ainsi que les evenemens dans lesquels lui-meme avoit ete, ou acteur, ou temoin. Il int.i.tula ce travail Histoire d'Orient, et en confia la publication a un autre moine nomme de Faucon, auquel il le dicta de memoire en Francais. L'ouvrage eut un tel succes que, pour en faire jouir les peuples auxquels notre langue etoit etrangere, Clement V.

chargea le meme de Faucon de le traduire en Latin. Celui-ci fit paroitre en 1307, sa version, dont j'ai trouve parmi le les ma.n.u.scrits de la Bibliotheque nationale trois exemplaires sous les numeros 7514, 7515--A, et 6041. (Page 180) a la fin du numero 7515, on lit cette note de l'editeur, qui donne la preuve de ce que je viens de dire du livre.

"Explicit liber Historiarum Parcium [Partium] Orientis, a religioso, viro fratre Haytono, ordinis beati Augustini, domino Churchi, consanguineo regis Armeniae, compilato [compilatus] ex mandato summi pontificis domini Clementis papae quinti, in civitate pictaviensi regni Franchiae: quem ego Nicolaus Falconi, prim scripsi in galico ydiomate, sicut idem frater H.

michi [mihi] ore suo dictabat, absque nota sive aliquo [Footnote: L'exemplaire no. 5514 ajoute a verbo ad verb.u.m.] exemplari. Et de gallico transtuli in latinum; anno domini MCCC. septimo, mense Augusti."

Bergeron a publie l'histoire d'Hayton. Mais, au lieu donner le texte Francais original, au ou moins la version Latine de l'editeur, il n'a donne qu'une version Francaise de ce Latin: de sorte que nous n'avons ainsi qu'une traduction de traduction.

Pour ce qui regarde Mandeville, il nous dit que ce voyageur composa son ouvrage dans les trois langues, Anglaise, Francaise et Latine. C'est une erreur. J'en ai en ce moment sous les yeux un exemplaire ma.n.u.scrit de la Bibliotheque nationale, no. 10024 [Footnote: Il y en a dans la meme bibliotheque un autre exemplaire note 7972; mais celui-ci, mutile, incomplet, tresdifficile a lire, par la blancheur de son encre, ne peut gueres avoir de valeur qu'en le collationant avec l'autre.] ecrit en 1477 ainsi que le porte une note finale du copiste. Or, dans celui-ci je lis ces mots:

Je eusse mis cest livre en latin, pour plus briefment delivrez (pour aller plus vite, pour abreger le travail). Mais pour ce que plusieurs ayment et endendent mieulx romans [le francais] que latin, l'ai-ge [je l'ai] mis en Romans, affin que chascun l'entende, et que les seigneurs et les chevaliers et aultres n.o.bles hommes qui ne scevent point de latin, ou pet.i.t [peu] qui ont este oultre-mer, saichent se je dy voir [vrai], ou non.

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