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Chapter 215 : Je dis ceci pour avertir que les habitans de cette ville sont gens mechants qui n'

Je dis ceci pour avertir que les habitans de cette ville sont gens mechants qui n'entendent pas trop raison, et que par consequent il faut bien se garder d'avoir querrelle avec eux. Il en est de meme ailleurs. J'ai eprouve par moi-meme qu'il ne faut vis-a-vis d'eux ni faire le mauvais, ni se montrer peureux; qu'il ne feut ni paroitre pauvre, parce qu'ils vous mepriseroient; ni riche, parce qu'ils sont tres avides, ainsi que l'experimentent tous ceux qui debarquent a Jaffa.

Damas peut bien contenir, m'a-t-on dit, cent mille ames. [Footnote: Il y dans le texte cent mille hommes. Si, par ce mot hommes, l'auteur entend les habitans males, alors, pour comprendre les femmes dans la population, il faudroit compter plus de deux cent mille individus au lieu de cent mille.

S'il entend les personnes en etat de porter les aimes, son etat de population est trop fort et ne peut etre admis.] La ville est riche, marchande, et, apres le Caire, la plus considerable de toutes celles que possede le soudan. Au levant, au septentrion et au midi, elle a une grande plaine; au ponant, une montagne au pied de laquelle sont batis les faubourgs. Elle est traversee d'une riviere qui s'y divise en plusieurs canaux, et fermee dans son enceinte seulement de belles murailles; car les faubourgs sont plus grands que la ville. Nulle part je n'ai vu d'aussi grands jardins, de meilleurs fruits, une plus grande abondance d'eau. Cette abondance est telle qu'il y a peu de maisons, m'a-t-on dit, qui n'aient leur fontaine.

Le seigneur (le gouverneur) n'a, dons toute la Syrie et l'Egypte, que le seul soudan qui lui soit superieur en puissance. Mais comme en differens temps quelques-uns d'eux se sont revoltes, les soudans ont pris des precautions pour les contenir. Du cote de terre est un grand et fort chateau qui a des fosses larges et profonds. Ils y placent un capitaine a leur choix, et jamais ce capitaine n'y laisse entrer le gouverneur.

En 1400 Damas fut detruite en cendres par le Trambulant (Tamerlan). On voit encore des vestiges de ce desastre; et vers la porte qu'on appelle de Saint-Paul, il y a un quartier tout entier qui n'est pas rebati.

Dans la ville est un kan destine a servir de depot de surete aux negocians pour leurs marchandises. On l'appelle kan Berkot, et ce nom lui a ete donne, parce qu'il fut originairement la maison d'un homme nomme ainsi.

Pour moi, je crois que Berkot etoit Francais; et ce qui me le fait presumer, c'est que sur une pierre de sa maison sont sculptees des fleurs de lis qui paroissent aussi anciennes que les murs.

Quoi qu'il en soit de son origine, ce fut un tres-vaillant homme, et qui jouit encore dans le pays d'une haute renommee. Jamais, pendant tout le temps qu'il vecut et qu'il eut de l'autorite, les Persiens et Tartres (Persans et Tatars) ne purent gagner en Syrie la plus pet.i.te portion de terrain. Des qu'il apprenoit qu'une de leurs armes y portoit les armes, il marchoit contre elle jusqu'a une riviere au-dela d'Alep, laquelle separe la Syrie de la Perse, et qu'a vue de pays je crois etre celle qu'on appelle Jehon, et qui vient tomber a Misses en Turcomanie. On est persuade a Damas que, s'il eut vecu, Tamerlan n'auroit pas ose porter ses armes de ce cote-la. Au reste ce Tamerlan rendit honneur a sa memoire quand il prit la ville. En ordonnant d'y tout mettre a feu, il ordonna de respecter la maison de Berkot; il la fit garder pour la defendre de l'incendie, et elle subsiste encore.

Les chretiens ne sont vus a Damas qu'avec haine. Chaque soir on enferme les marchands dans leurs maisons. Il y a des gens preposes pour cela, et le lendemain ils viennent ouvrir les portes quand bon leur semble.

J'y trouvai plusieurs marchands Genois, Venitiens, Catalans, Florentins et Francais. Ces derniers etoient venus y acheter differentes choses, specialement des epices, et ils comptoient aller a Barut s'embarquer sur la galere de Narbonne qu'on y attendoit. Parmi eux il y avoit un nomme Jacques Coeur, qui depuis a joue un grand role en France et a ete argentier du roi.

Il nous dit que la galere etoit alors a Alexandrie, et que probablement messire Andre viendroit avec ses trois camarades la prendre a Barut.

Hors de Damas et pres des murs on me montra le lieu ou saint Paul, dans une vision, fut renverse de cheval et aveugle. Il se fit aussitot conduire a Damas pour y recevoir le bapteme, et l'endroit ou on le baptisa est aujourd'hui une mosquee.

Je vis aussi la pierre sur laquelle saint George monta a cheval quand il alla combattre le dragon. Elle a deux pieds en carre. On pretend qu'autrefois les Sarrasins avoient voulu l'enlever, et que jamais, quelques moyens qu'ils aient employes, ils n'ont pu y reussir.

Apres avoir vu Damas nous revinmes a Barut, messire Sanson et moi: nous y trouvames messire Andre, Pierre de Vaudrey, Geoffroi de Thoisi et Jean de la Roe, qui deja s'y etoient rendus, comme me l'avoit annonce Jacques Coeur. La galere y arriva d'Alexandrie trois ou quatre jours apres; mais, pendant ce court intervalle, nous fumes temoins d'une fete que les Maures celebrerent a leur ancienne maniere.

Elle commenca le soir, au coucher du soleil. Des troupes nombreuses, epa.r.s.es ca et la, chantoient et poussoient de grands cris. Pendant ce temps on tiroit le canon du chateau, et les gens de la ville lancoient en l'air, bien haut et bien loin, une maniere de feu plus gros que le plus gros fallot que je visse oncques allume. Ils me dirent qu'ils s'en servoient quelquefois a la mer pour bruler les voiles d'un vaisseau ennemi. Il me semble que, comme c'est chose bien aisee et de une pet.i.te despense, on pourroit l'employer egalement, soit a consumer un camp ou un village couvert en paille, soit dans un combat de cavalerie, a epouvanter les chevaux.

Curieux d'en connoitre la composition, j'envoyai vers celui qui le faisoit le valet de mon hote, et lui fis demander de me l'apprendre. Il me repondit qu'il n'oseroit, et que ce seroit pour lui une affaire trop dangereuse, si elle etoit sue; mais comme il n'est rien qu'un Maure ne fa.s.se pour de l'argent, je donnai a celui-ci un ducat, et, pour l'amour du ducat, il m'apprit tout ce qu'il savoit, et me donna meme des moules en bois et autres ingrediens que j'ai apportes en France.

La veille de l'embarquement je pris a part messire Andre de Toulongeon, et apres lui avoir fait promettre qu'il ne s'opposeroit en rien a ce que j'allois lui reveler, je lui fis part du projet que j'avois forme de retourner par terre. Consequemment a sa parole donnee, il ne tenta point de m'en empecher; mais il me representa tout ce que j'allois courir de dangers, et celui sur-tout de me voir contraint a renier la foi de Jesus-Christ. Au reste j'avoue que ses representations etoient fondees, et que de tous les perils dont il me menacoit il n'en est point, excepte celui de renier, que je n'aie eprouves. II engagea egalement ses camarades a me parler; mais ils eurent beau faire, je les laissai partir et demeurai.

Apres leur depart je visitai une mosquee qui jadis avoit ete une tres-belle eglise, batie, disoit-on, par sainte Barbe. On ajoute que quand les Sarrasins s'en furent empares, et que leurs crieurs voulurent y monter pour annoncer la priere, selon leur usage, ils furent si battus que depuis ce jour aucun d'eux n'a ose y retourner.

II y a aussi un autre batiment miraculeux qu'on a change en eglise. C'etoit auparavant une maison de Juifs. Un jour que ces gens-la avoient trouve une image de Notre Seigneur, ils se mirent a la lapider, comme leurs peres jadis l'avoient lapide lui-meme; mais l'image ayant verse du sang, ils furent tellement effrayes du miracle, qu'ils se sauverent, allerent s'accuser a l'eveque, et donnerent meme leur maison en reparation du crime.

On en a fait une eglise, qui aujourd'hui est desservie par des cordeliers.

Je logeai chez un marchand Venitien nomme Paul Barberico; et comme je n'avois nullement renonce a mes deux pelerinages de Nazareth et du Thabor, malgre les obstacles que j'y avois rencontres et tout ce qu'on m'avoit dit pour m'en detourner, je le consultai sur ce double voyage. Il me procura un moucre qui se chargea de me conduire, et qui s'engagea meme pardevant lui a me mener sain et sauf jusqu'a Damas, et a lui en rapporter un certificat signe par moi. Cet homme me fit habiller en Sarrasin; car les Francs, pour leur surete, quand ils voyagent, ont obtenu du soudan de prendre en route cet habillement.

Je partis donc de Barut avec mon moucre le lendemain du jour ou la galere avoit mis a la voile, et nous primes le chemin de Saette, entre la mer et les montagnes. Souvent ces montagnes s'avancent si pres du rivage qu'on est oblige de marcher sur la greve, et quelquefois elles en sont eloignees de trois quarts de lieue.

Apres une heure de marche je trouvai un pet.i.t bois de hauts sapins que les gens du pays conservent bien precieus.e.m.e.nt. Il est meme severement defendu d'en abattre aucun; mais j'ignore la raison de ce reglement.

Plus loin etoit une riviere a.s.sez profonde. Mon moucre me dit que c'etoit celle qui vient de la vallee de Noe, mais qu'elle n'est pas bonne a boire.

Elle a un pont de pierre, pres duquel se trouve un kan ou nous pa.s.sames la nuit.

Le lendemain je vins a Seyde, ville situee sur la marine (sur la mer), et fermee du cote de terre par des fosses peu profonds.

Sur, que les Maures nomment Four, est situee de meme. Il est abreuve par une fontaine qu'on trouve a un quart de lieue vers le midi, et dont l'eau, tres-bonne, vient, par-dessur des arches, se rendre dans la ville.

Je ne fis que la traverser, et elle me parut a.s.sez belle; cependant elle n'est pas forte, non plus que Seyde, toutes deux ayant ete detruites autrefois, ainsi qu'il paroit par leurs murailles, qui ne valent pas, a beaucoup pres, celles de nos villes.

La montagne, vers Sur, s'arrondit en croissant, et s'avance par ses deux pointes jusqu'a la mer. L'es.p.a.ce vide entre l'une et l'autre n'a point de villages; mais il y en a beaucoup le long de la montagne.

Une lieue au-dela on trouve une gorge qui vous oblige de pa.s.ser sur une falaise au haut de laquelle est une tour. Les cavaliers qui vont de Sur a Acre n'ont point d'autre route que ce pa.s.sage, et la tour a ete construite pour le garder.

Depuis ce defile jusqu'a Acre les montagnes sont peu elevees, et l'on y voit beaucoup d'habitations qui, pour la plupart, sont remplies d'Arabes.

Pres de la ville je rencontrai un grand seigneur du pays nomme Fancardin.

Il campoit en plein champ, et portoit avec lui ses tentes.

Acre, entouree de trois cotes par des montagnes, quoique avec une plaine d'environ quatre lieues, l'est de l'autre par la mer. J'y fis connoissance d'un marchand de Venise, nomme Aubert Franc, qui m'accueillit bien et qui me procura sur mes deux pelerinages des renseignemens utiles dont je profitai.

A l'aide de ses avis je me mis en route pour Nazareth, et, apres avoir traverse une grande plaine, je vins a la fontaine dont Notre Seigneur changea l'eau en vin aux noces d'Archeteclin; [Footnote: Architriclinus est un mot Latin forme du Grec, par lequel l'Evangile designe le maitre d'hotel ou majordome qui presidoit aux noces de Cana. Nos ignarans auteurs des bas siecles le prirent pour un nom d'homme, et cet homme ils en firent un saint, qu'ils appelerent saint Architriclin. Dans la relation de la Brocquiere, Architriclin est le marie de Cana.] elle est pres d'un village ou l'on dit que naquit saint Pierre.

Nazareth n'est qu'un autre gros village bati entre deux montagnes; mais le lieu ou l'ange Gabriel vint annoncer a la vierge Marie qu'elle seroit mere fait pitie a voir. L'eglise qu'on y avoit batie est entierement detruite, et il n'en subsiste plus qu'une pet.i.te chose (case), la ou Nostre-Dame estoit quand l'angele lui apparut.

De Nazareth j'allai au Thabor, ou fut faite la transfiguration de Notre Seigneur, et plusieurs autres miracles. Mais comme les paturages y attirent beaucoup d'Arabes qui viennent y mener leurs betes, je fus oblige de prendre pour escorte quatre autres hommes, dont deux etoient Arabes eux-memes.

La montee est tres-rude parce qu'il n'y a point de chemin; je la fis a dos de mulet, et j'y employai deux heures. La cime se termine par un plateau presque rond, qui peut avoir en longeur deux portees d'arc et une de large.

Jadis il fut enceient d'une muraille dont on voit encore des restes avec des fosses, et dans le pourtour, en dedans du mur, etoient plusieurs eglises, et specialement une ou l'on gagne encore, quoiqu'elle soit ruinee, plain pardon de paine et de coulpe.

Au levant du Thabor, et au pied de la montagne, on apercoit Tabarie (Tiberiade), au-dela de laquelle coule le Jourdain; au couchant est une grande plaine fort agreable par ses jardins remplis de palmiers portant dattes, et par de pet.i.ts bosquets d'arbres, plantes comme des vignes, et sur lesquels croit le coton. Au lever du soleil ceux-ci presentent un aspect singulier. En voyant leurs feuilles vertes couvertes de coton, on diroit qu'il a neige sur eux. [Footnote: Il est probable qu'ici le voyageur s'est trompe. Le cotonnier a par ses feuilles quelque ressemblance avec celles de la vigne. Elles sont lobees de meme; mais le coton nait dans des capsules, et non sur des feuilles. On connoit en botanique plusieurs arbres dont les feuilles sont couvertes a leur surface exterieure d'un duvet blanc; mais on n'en connoit aucune qui produise du coton.]

Ce fut dans cette plaine que je descendis pour me reposer et diner; car j'avois apporte des poulets crus et du vin. Mes guides me conduisirent dans une maison dont le maitre, quand il vit mon vin, me prit pour un homme de distinction et m'accueillit bien. Il m'apporta une ecuelle de lait, une de miel, et une branche chargee de dattes nouvelles. C'etoit la premiere fois de ma vie que j'en voyois. Je vis encore comment on travailloit le coton, et pour ce travail les ouvriers etoient des hommes et des femmes. Mais la aussi mes guides voulurent me ranconner, et, pour me reconduire a Nazareth ou je les avois pris, ils exigerent de moi un marche nouveau.

Je n'avois point d'epee, car j'avoue que je l'aurois tiree, et c'eut ete folie a moi, comme c'en seroit une a ceux qui m'imiteroient. Le resultat de la querelle fut que, pour me debarra.s.ser d'eux, il me fallut leur donner douze drachmes de leur monnoie, lesquelles valent un demi-ducat. Des qu'ils les eurent recues ils me quitterent tous quatre; de sorte que je fus oblige de m'en revenir seul avec mon moucre.

Nous avions fait peu de chemin, quand nous vimes venir a nous deux Arabes armes a leur maniere et montes sur de superbes chevaux. Le moucre, en les voyant, eut grande peur. Heureus.e.m.e.nt ils pa.s.serent sans nous rien dire; mais il m'avoua que, s'ils m'eussent soupconne d'etre chretien, nous etions perdus, et qu'ils nous eussent tues tous deux sans remission, ou pour le moins depouilles en entier.

Chacun d'eux portoit une longue et mince perche ferree par les deux bouts, don't l'un etoit tranchant, l'autre arrondi, mais garni de plusieurs taillans, et long d'un empan. Leur ecu (bouclier) etoit rond, selon leur usage, convexe dans la partie du milieu, et garni au centre d'une grosse pointe de fer; mais depuis cette pointe jusqu'au bas il etoit orne de longues franges de soie. Ils avoient pour vetement des robes dont les manches, larges de plus d'un pied et demi, depa.s.soient leur bras, et pour toque un chapeau rond termine en pointe, de laine cramoisie, et velu; mais ce chapeau, au lieu d'avoir sa toile tortillee tout autour, comme l'ont les autres Maures, l'avoit pendante fort bas des deux cotes, dans toute sa largeur.

Nous allames de la loger a Samarie, parce que je voulois visiter la mer de Tabarie (lac de Tiberiade), ou l'on dit que saint Pierre pechoit ordinairement, et y a aucuns (quelques) pardons; c'etoient les quatre-temps de Septembre. Le moucre me laissa seul toute la journee. Samarie est situee sur la pointe d'une montagne. Nous n'y entrames qu'a la chute de jour, et nous en sortimes a minuit pour nous rendre au lac. Le moucre avoit prefere cette heure, afin d'esquiver le tribut que paient ceux qui s'y rendent; mais la nuit m'empecha de voir le pays d'alentour.

J'allai ensuite au puits qu'on nomme puits de Jacob, parce que Jacob y fut jete par ses freres. Il y a la une belle mosquee, dans laquelle j'entrai avec mon moucre, parce que je feignis d'etre Sarrasin.

Plus loin est un pont de pierre sur lequel on pa.s.se le Jourdain, et qu'on appelle le pont de Jacob, a cause d'une maison qui s'y trouve, et qui fut, dit-on, celle de ce patriarche. Le fleuve sort d'un grand lac situe au pied d'une montagne vers le nordouest (nord-ouest), et sur la montagne est un beau chateau possede par Nancardin.

Du lac je pris le chemin de Damas. Le pays est a.s.sez agreable, et quoiqu'on y marche toujours entre deux rangs de montagnes, il a constamment une ou deux lieues de large. Cependant on y trouve un endroit fort etrange. La le chemin est reduit uniquement a ce qu'il faut pour le pa.s.sage des chevaux tout le reste, a gauche, dans une largeur et une longueur d'une lieue environ, ne presente qu'un amas immense de cailloux pareils a ceux de riviere, et dont la plupart sont gros comme des queues de vin.

Au debouche de ce lieu est un tres-beau kan, entoure de fontaines et de ruisseaux. A quatre ou cinq milles de Damas il y en a un autre, le plus magnifique que j'aie vu de ma vie. Celui-ci est pres d'une pet.i.te riviere formee par des sources; et en general plus on approche de la ville et plus le pays est beau.

La je trouvai un Maure tout noir qui venoit du Caire a course de chameau, et qui etoit venu en huit jours, quoiqu'il y eut, me dit-on, seize journees de marche. Son chameau lui avoit echappe: a l'aide de mon moucre je parvins a le lui faire reprendre. Ces coureurs ont une selle fort singuliere, sur laquelle ils sont a.s.sis les jambes croisees; mais la rapidite des chameaux qui les conduisent est si grande que, pour resister a l'impression de l'air, ils se font serrer d'un bandage la tete et le corps.

Celui-ci etoit porteur d'un ordre du soudan. Une galere et deux galiotes du prince de Tarente avoient pris devant Tripoli de Syrie une griperie [Footnote: Griperie, grip, sorte de batiment pour aller en course, vaisseau corsaire.] de Maures: le soudan, par represailles, envoyoit saisir a Damas et dans toute la Syrie tous les Catalans et les Genois qui s'y trouvoient.

Cette nouvelle, dont je fus instruit par mon moucre, ne m'effraya pas.

J'entrai hardiment dans la ville avec les Sarrasins, parce que, habille comme eux, je crus n'avoir rien a craindre. Mon voyage avoit dure sept jours.

Le lendemain de mon arrivee je vis la caravane qui revenoit de la Mecque.

On la disoit composee de trois mille chameaux: et en effet elle employa pour entrer dans la ville pres de deux jours et deux nuits. Cet evenement fut, selon l'usage, une grande fete. Le seigneur de Damas, ainsi que les plus notables, allerent au devant de la caravane, par respect pour l'Alkoran qu'elle avoit. Ce livre est la loi qu'a laissee aux siens Mahomet. Il etoit enveloppe d'une etoffe de soie peinte et chargee de lettres morisque, et un chameau le portoit, couvert lui-meme egalement de soie.

En avant du chameau marchoient quatre menestrels (musiciens) et une grande quant.i.te de tambours et de nacquaires (timbales) qui faisoient ung hault bruit. Devant et autour de lui etoient une trentaine d'hommes dont les uns portoient des arbaletes, les autres des epees nues, d'autres de pet.i.ts canons (arquebuses) qu'ils tiroient de temps en temps. [Footnote: L'auteur ne dit pas si ces arquebuses etoient a fourchette, a meche, a rouet; mais il est remarquable que nos armes a feu portatives; dont l'invention etoit encore a.s.sez recente en Europe, fussent des-lors en usage chez les Mahometans d'Asie.] Par derriere suivoient huit vieillards, qui montoient chacun un chameau de course pres duquel on menoit en lesse leur cheval, magnifiquement couvert et orne de riches selles, selon la mode du pays.

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